dimanche 29 juillet 2012

Le rétro au cinéma et à la télévision

Le style rétro envahit depuis quelques années nos grands et petits écrans : The Artist, Moonrise Kingdom, Mad Men, Boardwalk Empire, Mildred Pierce, Life On Mars, etc. Comment expliquer une telle nostalgie dans le domaine de l'audiovisuel, et plus largement dans la culture actuelle ?

Mildred Pierce, mini-série HBO



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Généralisé à plusieurs secteurs de la vie sociale et culturelle, le rétro marketing constitue essentiellement un épiphénomène : en période d’incertitudes, le passé apparaît comme un âge d’or d’avant la chute, à l’image de la série Mad Men qui renvoie le téléspectateur à un état d’infaillibilité de la société de consommation. 


Vu comme un patrimoine sécurisant, ce passé est systématiquement idéalisé, à l’instar des Trente glorieuses (1945-1973) qui coïncident avec une période d'essor économique. Les années 50 et 60 fascinent tout particulièrement parce qu’elles sont relativement proches de nous, tout en représentant des décennies où les gens avaient une grande confiance en l’avenir et le progrès technologique. Ils voyaient d’ailleurs les années 2000 sous le filtre d’un optimisme sans limite, lui prêtaient toutes les révolutions et toutes les utopies.


Le cinéma et la télévision n’échappent pas au raz-de-marée rétro qui envahit notre culture contemporaine: mais au-delà de la donne purement nostalgique, chaque produit audiovisuel travaille des thèmes qui reflètent des préoccupations sociales précises. A travers les questions de l’essor de la société de consommation, de la rigidité des rapports de genre, de classes, de races, etc., de l'hypocrisie du système capitaliste, Mad Men fournit une sorte de « documentaire » passionnant sur les années 60.



Mais cette série permet également de mesurer l’écart qui sépare cette époque de la nôtre, en valorisant implictement le chemin parcouru, notamment en matière d'égalité entre homme et femme, d'hygiène, d'écologie ou de recherche scientifique. L’ambiguïté est là : à travers la représentation du passé, on veut s’évader du présent pour mieux apprécier ce qu’il a de meilleur, cependant que les sixties ne cessaient d’imaginer ce que seraient les années 2000.


Grâce au motif du passage du cinéma muet au cinéma parlant et sonore, The Artist de son côté propose une réflexion sur les conséquences des transitions technologiques qui innervent l’histoire des médias. Alors que l’intelligentsia s’interroge sur les retombées psycho-sociales du tout-numérique, ce film résout les tensions engendrées par le changement au travers d’une adaptation laborieuse mais réussie du héros à un nouveau contexte de production industrielle. En puisant dans l’expérience du passé, il apporte donc des réponses possibles sur un futur hypothétique. 




L’excellente série télévisée Life On Mars (BBC, puis remakes américain et espagnol) est révélatrice à cet égard : suite à un accident, le héros est propulsé dans son passé (les années 1970) pour mieux appréhender sa vie en 2006 (et, partant, toute son époque), la mise à distance historique ayant valeur heuristique. 


Son voyage temporel emblématise d’ailleurs la posture du spectateur qui retrouve des éléments familiers et rassurants du passé, mais qui en répudie d’autres nettement rétrogrades (le machisme ou la violence des forces policières), d’où la mise en valeur indirecte des avancées techniques et sociales franchies en 30 ans. Au cinéma et à la télévision, la fascination pour le style vintage ou rétro ne se résume donc pas à un simple emprunt esthétique mais ouvre à un questionnement plus général sur la société en surdéveloppement et ses effets ambivalents.



Cette tendance nostalgique va-t-elle perdurer ? En ce qui concerne le cinéma et la télévision, c’est difficile à prédire, mais tant que la crise économique persiste, on peut penser que la vogue rétro va se prolonger  au travers de produits qui utilisent la référence à l’ancien pour exorciser les angoisses du présent. Tant que la nostalgie répond aux besoins de nouveauté et de créativité du consommateur, la mise au goût du jour des valeurs anciennes continuera certainement a avoir du succès. 


De nos jours, il faut cependant remarquer que la référence au rétro se réduit souvent à une esthétique superficielle appliquée à des objets tout à fait modernes, comme on le constate par exemple dans l’électroménager, la mode de grande consommation, l’électronique ou l’automobile. Si le vintage perdure, c’est en tant qu’argument de vente très rentable parce qu’il est associé à une nostalgie essentiellement psychologique : il rappelle le mode de vie de nos parents et de nos grands-parents dont on connaît la trajectoire personnelle (la connaissance ici devient une forme de maîtrise bienvenue en ces temps houleux), ou alors il suggère une enfance encore insouciante et gaie. Le passé devient un réservoir de mythes positifs dans lequel on aime à se réfugier.




Au final, la vague rétro est symptomatique d'un même phénomène : se tourner vers le passé pour mieux se rassurer sur un présent trop flou et un avenir incertain. Qu’elle soit authentique ou réécrite à l’aune de la modernité, le vintage évoque une époque insouciante, raconte la réalisation artisanale des objets, offre une véritable alternative aux produits industriels fabriqués de façon homogène. Rien que pour cela, la folie du vintage mérite d'être prise au sérieux. Ce que le rétro marketing ne manque pas de faire, d'ailleurs. En attendant de voir quelles autres surprises celui-ci nous réserve, plongeons sans état d'âme dans ces excellentes séries que sont Mildred Pierce ou Mad Men.

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